IA et freelancing : comment rester pertinent et unique ?

Quand l’IA menace notre crédibilité de freelance (et notre santé mentale)

L’uniformisation des contenus

À l’échelle mondiale, plus on utilise l’intelligence artificielle, plus la qualité globale d’Internet s’appauvrit et s’uniformise. Ce phénomène, appelé « model collapse » arrive quand les intelligences artificielles sont entrainées sur des données… majoritairement créées par des intelligences artificielles. Il suffit de deux à quatre itérations pour que la qualité des contenus proposés s’effondre. 

Sans attendre de percevoir toute l’étendue des dégâts, je trouve qu’on voit déjà très bien les impacts de l’uniformisation des contenus, que ce soit des articles de blog ou dans les posts « inspirants » partagés sur Instagram ou LinkedIn. D’ailleurs, votre œil s’est probablement déjà habitué à repérer les contenus créés directement par une intelligence artificielle, et dont la structure est toujours la même. Personnellement, je grince des dents à chaque titre qui présente des majuscules à chaque mot (est-ce que je suis la seule ?) !

La standardisation des livrables

Peut-être que vous rédigez peu de contenus « publics » et que vous ne vous sentez donc pas directement concernés. Mais le problème est le même pour tous nos livrables. Nos clients viennent nous chercher pour obtenir une expertise, une vision particulière de leurs problématiques nous venant de notre expérience. Notre valeur ajoutée vient aussi (et surtout ?) des liens que nous faisons entre les différents sujets, de l’interprétation des besoins exprimés, et de la créativité que nous trouvons dans les solutions que nous leur proposons. 

L’intelligence artificielle propose de réfléchir à notre place, de créer des livrables à notre place, et c’est bien tentant : tant de temps gagné ! Pourtant, non seulement nous tombons dans le même cercle vicieux des contenus qui vont être de moins en moins qualitatifs, et de moins en moins pertinents, mais en plus nous perdons toute la valeur ajoutée que recherchent nos clients ou prospects. Imaginez un client qui reçoit 10 réponses à appel d’offres, dont quatre présentent des similarités troublantes sur la structure ou les solutions proposées. Pas besoin de vous faire un dessin : ce ne sont pas ces propositions qui obtiendront une réponse positive.

L’arrêt de la formation continue

L’utilisation systématique de l’IA à la moindre question ou à la moindre difficulté va-t-elle nuire à notre capacité de nous former sans cesse ? L’auto-formation, cela passe par des questionnements, de la recherche, de la reformulation, des tests, surtout ! Cela fait appel à notre créativité, pour trouver des cas d’usage pertinents et nous rapprocher le plus possible des vraies problématiques de nos clients. 

Utiliser un agent IA – pour créer une automatisation par exemple – c’est super rapide, mais si vous ne comprenez pas la logique de cette automatisation, vous ne serez pas en mesure de la contrôler, de la corriger, de la faire évoluer facilement. E

Le ramolissement du cerveau et la perte d’intérêt

Certaines études commencent à montrer la diminution de l’activité cognitive lorsque nous utilisons l’IA plutôt que notre jus de cerveau, et même si elles sont encore au stade expérimental, j’ai l’impression d’en faire l’expérience régulièrement. Je ressens parfois cette flemme intense de devoir réfléchir alors qu’un bon prompt ferait le travail, non ? Et ça me fait peur. 

En laissant à l’IA le soin de faire les comptes-rendus de nos réunions, par exemple, nous perdons le bénéfice de la réflexion, de l’analyse, et de la synthèse de ces éléments. Ainsi, nous sommes moins performants dans notre travail et dans les actions qui suivent ces réunions. Notre valeur ajoutée vient de notre expérience, de nos compétences techniques, de ce que nous savons faire sur le papier, mais surtout de la manière dont nous utilisons tout ceci dans un contexte très particulier : celui de notre client. Cela s’entraine et cela s’entretient !

À tout déléguer à une intelligence artificielle, nous risquons de perdre ce que nous savons faire le mieux, mais également ce qui nous stimule intellectuellement et nous fait aimer notre métier.

Pistes pour utiliser l’IA sans perdre son âme

Alors qu’est-ce qu’on fait, on arrête d’utiliser l’IA ? En 2025, c’est compliqué d’en passer par là. Il ne passe pas une semaine sans que un client me demande : « et ça, on ne pourrait pas le faire faire par l’IA plutôt ? ». Nos clients attendent de nous qu’on soit formés, qu’on puisse répondre à leurs questions et les aider à prendre également ce virage de l’intelligence artificielle, ou à développer les initiatives qu’ils auront pris d’eux-mêmes.

Pour autant, je pense que c’est d’autant plus important que chaque freelance soit conscient des impacts (écologiques, éthiques) de l’utilisation de l’intelligence artificielle. Je pense qu’une utilisation raisonnée de l’IA est possible, et j’espère que la vague que nous avons vu déferler dans notre quotidien va se retirer un peu, pour ne laisser que le meilleur. D’ailleurs, une étude récente du US Census Bureau annonce la diminution de l’utilisation de l’intelligence artificielle au sein des grandes entreprises.

Prompter moins, prompter mieux

En 2024, le CEO d’Open AI a déclaré perdre des millions de dollars à cause des gens trop polis (et les millions de dollars évoqués vont de pair avec les impacts écologiques évoqués en introduction). Ce sont tous les « bonjour », « s’il te plaît », « merci » et « bonne journée » qui augmentent mécaniquement le nombre de requêtes et l’énergie utilisée pour traiter les demandes (big up à toutes les personnes qui s’efforcent de rester aimable avec leur IA conversationnelle préférée, en anticipation de ce futur dystopique où l’intelligence artificielle prendra le contrôle du monde). 

Dans la même veine, ce sont toutes les demandes mal formulées, les prompts mal préparés, parce que non seulement on veut des réponses immédiates, mais on voudrait aussi que l’intelligence artificielle comprenne ce qu’on pense, pas uniquement ce qu’on a écrit. (Finalement, on se comporte un peu comme nos clients, qui attendent de nous qu’on comprenne leur vrai besoin, même quand ils ont du mal à les exprimer). 

Pour limiter notre impact en utilisant l’intelligence artificielle, on peut se former sur les meilleures manières d’écrire un prompt, et surtout réfléchir en amont à notre véritable objectif, à ce qu’on veut sortir de cette conversation avec l’intelligence artificielle. Et cela suffira peut-être, qui sait, à nous faire réaliser que cette requête n’est pas nécessaire.

Adapter le modèle d’IA en fonction de ses besoins 

Difficile aujourd’hui de se passer de l’intelligence artificielle : à peu près tous les outils que nous utilisons au quotidien ont ajouté au cours des deux dernières années des fonctionnalités basées sur l’IA. Pour eux, c’est à la fois une nécessité de montrer qu’ils sont modernes, mais aussi une manne financière en devenir : les fonctionnalités IA sont la plupart du temps payantes – il faut bien rentabiliser l’investissement (utiliser l’IA de Notion, cela revient globalement à doubler le coût de votre abonnement, par exemple).

Une solution facile à mettre en place est de choisir le modèle que vous utilisez quand vous posez une question. Claude, Chat GPT ou encore Perplexity vous permettent de choisir le modèle que vous souhaitez utiliser pour vous répondre. Ce qui est mis en avant : la profondeur et la complexité de la réponse. Ce qui est induit : la consommation de ressources générées par votre requête. Donc pour la recette de votre pizza végétarienne du soir, peut-être que vous pouvez vous contenter de GPT 3.5, et limiter l’usage de Claude Opus 4.1 à l’analyse critique de la nouvelle offre que vous êtes en train de construire.

Réfléchir en amont à notre utilisation de l’IA

Est-ce que vous avez vraiment besoin que Spark vous fasse vos comptes-rendus de réunion ? Est-ce que vous faisiez déjà des comptes-rendus de réunion, ou est-ce que vous vous contentiez de partager les décisions importantes, et de lister les actions ? Vous risquez de passer plus de temps à relire et amender ce fameux compte-rendu de réunion (quand ce n’est pas une transcription exhaustive et inexploitable) qui manquera probablement de synthèse et de pertinence par rapport aux véritables enjeux de la réunion, qu’à remettre en forme rapidement les quelques notes que vous aurez prises au fur et à mesure. L’intelligence artificielle apporte une vraie valeur dans certains contextes, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’à sauter sur chaque nouvelle fonctionnalité, on s’ajoute une charge de travail qui pourrait souvent être tout simplement supprimée.

Comme tout le monde, j’utilise l’IA au quotidien : ChatGPT pour des requêtes variées, Claude pour brainstormer, Perplexity pour faire une veille différente. Et ces nouveaux usages viennent avec un questionnement personnel sur ce que cela révèle de moi, de mes compétences, et de ce que je pense de moi-même, sur cette friction avec les valeurs que j’essaye d’incarner tant dans ma vie personnelle que professionnelle. C’est ce questionnement que j’ai voulu partager avec vous aujourd’hui ; je vous encourage à tester de votre côté, à prendre du recul sur ce que cela vous apporte réellement, mais aussi sur les aspects négatifs qu’une utilisation systématique pourrait avoir sur votre activité professionnelle.

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